“L’Eau à la bouche”
18 Oct. – 28 Oct. 2015
With Catherine Biocca, Lennart Lahuis, Agnieszka Polska & Müge Yılmaz / Curated by Julia Geerlings
@ After Hours / La Générale en Manufacture

L’eau à la bouche (mouthwatering) revolves around the concept of language and the ethnography of the mouth and by those means the body’s functions and behavior. The exhibition is inspired by a text from 1929 by Michel Leiris with the same name, which was part the L’informe (formless) in the “critical dictionary” Documents by Georges Bataille (1929). Leiris concentrates on the privileged situation of the mouth. Ideally, the mouth is the site of the world, the sender and receiver of kisses, the generator of (surrealist) love and poetry. Materially, it scandalizes and exposes ideal love and its formulations, by literally bringing up the organic viscosity of being in the sacrilegious form of spittle. The mouth’s divinity is daily sullied, and abstract discourse derided by the organ of nutrition and excretion.

_______

Michel Leiris, L’Eau à la bouche (1929)

Nous sommes à ce point accoutumés à la vue de nos semblables que d’ordinaire nous ne remarquons pas ce qu’a de monstrueux chacun des éléments qui constituent notre structure. C’est a peine si l’érotisme déclanche de grands éclairs révélateurs, qui nous font comprendre parfois la nature vraie de tel organe, lui restituant brusquement son intégrale réalité et sa force hallucinante, en même temps qu’instaurant de déesse souveraine l’abolition des hiérarchies, de ces hiérarchies sur les échelons desquelles, en temps habituel, nous casons tant bien que mal les différentes partie du corps, mettant les unes en haut, les autres en bas (selon la valeur que nous attachons aux diverses activités dont elle sont le support), les yeux au faite – puisqu’il paraît que ce sont d’admirables fanaux,- mais les organes d’excrétion aussi lointainement bas qu’il est possible, au-dessous de tout niveau de flottaison, dans les caves humides d’une mer stagnante de détresse, empoisonnée par des millions d’égouts…

Juste au dessous des yeux, la bouche occupe une situation privilégiée, parce qu’elle est le lieu de la parole l’orifice respiratoire, l’antre ou se scelle le pacte du baiser bien plus croit-on, que l’usine huileuse des mastications. Il faut d’une part l’amour pour restituer a la bouche toute sa fonction mythologique (elle n’est qu’une grotte tiède et mouillée, que les dents garnissent pourtant de dures stalactites, et dans ses replis se dissimule la langue, dragon gardien de Dieu sait quels trésors !), d’autre part le crachat, pour, d’un seul coup, la faire tomber au dernier degré de l’échelle organique, en la douant d’une fonction d’éjection, plus répugnante encore que son rôle de porte ou l’on enfourne les aliments.

Le crachat touche de très pres aux manifestations érotiques, parce qu’il introduit le même « a vau l’eau « que l’amour dans la classification des organes. Comme l’acte sexuel accompli au grand jour, il est le scandale même, puisqu’il ravale la bouche – qui est le signe visible de l’intelligence – au rang des organes les plus honteux, et par suite l’homme tout entier a la hauteur de ces primitifs animaux qui, ne possédant qu’une seule ouverture pour tour leurs besoins et étant par conséquent exempts de cette séparation élémentaire de l’organe de nutrition et de celui d’excrétion a quoi correspondrait la différenciation du noble et de l’ignoble, sont encore plonges tout-a-fait dans une sorte de chaos diabolique ou rien n’est démêlé.

De ce fait, le crachat représente un comble en tant que sacrilège. La divinité de la bouche, par lui, est journellement salie. Quelle valeur accorder, en effet, a la raison, aussi bien qu’a la parole, et partant a la prétendue dignité de l’homme, si l’on songe que tout discours philosophique, grâce au fait que langage et crachat proviennent d’une même source, peut légitiment être figure par l’image incongrue d’un orateur qui postillonne ?

La crachat est enfin, par son inconsistance, ses contours indéfinis, l’imprécision relative de sa couleur, son humidité, le symbole même de l’informe, de l’invérifiable, du non-hiérarchisé, pierre d’achoppement molle et gluante qui fait tomber, mieux qu’un quelconque caillou, toutes le démarches de celui qui – autre chose qu’un animal chauve et sans muscles, le crachat d’un démiurge en délire, riant aux éclats d’avoir expectore cette larve vaniteuse, comique têtard qui se gonfle en viande soufflée de demi-dieu…