EN DIRECT / EXPOSITION PERSONNELLE DE RAN ZHANG « RESOLUTION OF TRAITS »
DU 25 JANVIER AU 28 MARS 2020 À L’AHAH #GRISET
Effeuiller les strates
par Julia Geerlings
L’exposition « Resolution of Traits » de Ran Zhang tente de matérialiser la manière dont la sphère atomique, invisible à l’œil nu, peut être visualisée et éprouvée. L’œuvre de Zhang s’articule autour de l’interaction entre l’effet produit par l’imagerie et la manière dont les images modèlent notre perception. Ses recherches récentes l’ont conduite à se demander comment le savoir scientifique remplace l’expérience vécue afin d’appréhender le domaine invisible de la réalité. Pour ce faire, l’artiste zoome littéralement sur des objets du quotidien : à l’aide d’un microscope, elle traverse les couches visibles avant de déformer les images moléculaires en appliquant de la peinture ou des encres sur les tirages numériques, complexifiant d’autant plus la perception du sujet. Ces différentes techniques témoignent d’un procédé par lequel le savoir se transforme en une image authentique, et rendent compte de l’abstraction et de la stratification complexe de cette dernière. À ce stade, formes et couleurs ne nous sont plus reconnaissables. Elles n’auraient jamais dû l’être, d’ailleurs, puisqu’on ne peut les voir à l’œil nu. Mais la science s’est assurée que nous soyons conscient·e·s de ces formes et modules. On pourrait dire que ces œuvres appartiennent au domaine de la nanotechnologie, voire de la science-fiction : structures moléculaires en trois dimensions, proches de l’hybridation, produites grâce à des couleurs artificielles et des modifications apportées par la peinture.
À chaque fois que Ran Zhang regarde par la lentille du microscope, elle peut voir la projection renversée de ses propres cils, avec des corps flottants en forme de vers superposés aux sujets observés. À travers son propre corps, elle examine des sujets situés à l’autre bout de l’objectif. La micro-perspective est à jamais encapsulée dans le potentiel de la machine, tout comme la perspective atomique l’est dans la connaissance (biologique, chimique, etc.) Ainsi, les formes peintes par l’artiste associent, d’un côté, ses propres myiodésopsies à l’image microscopique, et, de l’autre, dépeignent les structures moléculaires tridimensionnelles de ces protéines motrices. Les sources deviennent des matériaux, des éléments susceptibles de s’entrelacer les uns aux autres. L’œuvre n’est autre que la possibilité d’embrasser ces liens d’un regard. Comme si la réalité se composait d’autant de couches qu’un oignon. Faire le choix de creuser au travers de ces strates et de s’enfoncer toujours plus loin dans le microscopique, reviendrait à confronter en permanence cet état spécifique de la réalité. On y rencontrerait une universalité dans les textures, ombres et couleurs, jusqu’à atteindre une sorte de limite où la perception de la réalité ne serait plus possible, où la couleur et la forme s’éclipsent pour ne laisser que des scintillements et des vibrations. Mais la boucle ne s’arrêterait pas là pour autant : on sait qu’il reste toujours plus à explorer, que la spirale dans laquelle on plonge est sans fin.
Julia Geerlings
Commissaire et critique, travaillant entre Amsterdam et Paris ; elle dirige également A Tale of a Tub à Rotterdam. Elle a, entre autres, organisé des expositions à Vleeshal (Middelburg), à Oude Kerk (Amsterdam), au Kunstfort (Vijfhuizen) et au Kunsthuis SYB (Beetsterzwaag) aux Pays-Bas, mais aussi à Thkio Ppalies (Nicosia) à Chypres et au Moinsun (Paris) et à After Hours (Sèvres) en France. Elle a bénéficié de nombreuses résidences curatoriales dont Rupert (Vilnius) en Littuanie, Across (Nice) en France, ISCP – International Studio and Curatorial Program (New York) aux Etats-Unis. En 2020, elle débutera une résidence à la Cité des Arts à Paris, avec le soutien du Fonds Mondriaan.